Renato Bussi, une longue trajectoire…
di Jéròme Camilly
Trente-cinq ans _ou à peu près _ à le regarder peindre. Un bail, un long bail.
Ces trente-cinq ans ne donnent aucun droit, sinon celui de chercher à comprendre un peu mieux.
C’est tout.
Le voir peindre durant trente-cinq ans, par à-coups, par plages lentes, par pulsions – incisives ou
sereines – à l’image du sang qui nous bat dans les veines, de la vie qui s’écoule…
De tout ce temps passé, demeure la couleur. Présente. Sensible. Ineffaçable.
Une fois ou deux, j’ai pensé, en déchiffrant les toiles de Bussi, à cette définition de Paul
Cézanne : « Unir des courbes de femmes à des épaules de collines ».
Il y a du vrai dans cette phrase arrondie. Pas seulement un gout pour l’esthétisme, mais la volonté
de relier d’un seul fil la chair, la terre, le cosmos.
Des années durant, Bussi a raconté tout cela, avec des effleurements, des demi-teintes, une façon
bien à lui d’équilibrer le paysage. De le mettre en toile comme on met en page.
Et puis, un jour, il se désintègre. D’un coup, comme ça, pour refaire son unité. Il décide de
réinventer sa toile en même temps qu’il l’élabore, au fur et à mesure qu’elle se crée. Le thème lui
vient spontanément, tandis qu’il ordonne sa composition.
Et voilà que rien ne le limite plus. Il n’est plus tout à fait le même. Pas tout à fait un autre, non plus.
Qu’il peigne un arbre, et la lumière que l’arbre reçoit nous éclabousse.
Au départ, le blanc de la toile – le blanc tout cru – et puis, des formes se chevauchent, petit à
petit,des réminiscences figuratives se font jour. Il escalade, quatre à quatre, les degrés de la lumière.
Il ose la couleur parce qu’il en connaìt les syntaxes. Sa pensée, par vagues, recouvre une idée
l’autre.
L’improvisation s’impose comme un chant, un contrechamp lumineux. Après s’ètre imprégné de
lumière, ses toiles la rediffusent. Tonalités qui s’interpénètrent. Arbres quatre-saisons.
Superpositions.
Est-ce vraiment de peinture dont il est question ou de rythmes de vie ?
Bussi peint ce qui l’obsède à l’instant. Sans heurt. Il se raconte à lui-même, non comme un peintre,
mais comme le ferait un homme de tous les jours. Sa part de vie à lui, c’est sa part de lumière. Il
s’invente un autre devoir de peindre, une autre morale intérieure. Il veut rejoindre la lumière, la
substance de la couleur qui se cristallise dans l’objet, dans le paysage. Dans tout.
La nature ne le conditionne plus comme auparavant, comme au temps « des courbes de femmes et
des épaules de collines », il peint des espaces qu’il porte en lui. Des tracés distincts, comme ces
petits lambeaux, ces paysages vues d’avion. Il se clarifie. Se veut limpide. Evident. A l’opposé de
tout ésotérisme pictural. La peinture n’est mystère que pour celui qui n’y entre pas, lui, se prolonge
de toile en toile. Sans altération. Il est en face de nous, portes ouvertes.
Une toile, c’est un mètre carré de solitude, mais pour qui y pénètre de plain-pied, c’est un mur de
liberté.
Bussi-le-peintre, transcrit ses préoccupations. Le difficile est qu’elles coìncident chaque fois avec
les nòtres. Il y a souvent malentendu entre le discours peint et la perception du voyeur.
Après tout, peu importe. Lumière, temps, couleurs, signes, matières-poèmes, vérités premières, font
la texture de la toile. C’est ce choc en retour que le spectateur doit recevoir. Comme un boomerang.
« Il n’y a pas de précurseur, il n’y a que des retardataires », a dit le poète Jean Cocteau, ciseleur de
formules. Nous le savons tous et nous appréhendons l’inconfort de nous remettre en question.
Bussi, l’homme-peintre, a décidé de faire place nette, de se renouveler chaque jour, de réinventer
l’espace, le temps, la couleur, et de tout réaménager comme il l’entend.
Peinture-instinct/ Peinture-instant.
Il ne veut plus être peintre selon la tradition figée, il choisit d’entrer dans la toile comme dans un
dédale. Il traverse les espaces par transparence. Sa préoccupation, c’est la lumière intérieure, la
lumière-couleur qui est signe de vie, la lumière qui identifie la peinture, qui détermine sa charge
d’émotion.
Bussi, dans sa nouvelle manière, efface la structure, et la forme justifie le mouvement. Il y circule
une volonté d’absolu. Les éléments sont devenus impalpables, alors les couleurs osent l’exubérance.
La nature présente est doucement gommée. Des ciels d’orage s’enflamment, s’effondrent, l’air,
l’eau, le feu,le vent circulent, mélés à des fragments d’imaginaire, à des débris de végétaux.
Musiques lumineuses qui se heurtent, parcelles de terre qui s’affrontent, racines qui réapparaissent.
Dans tout ce magma, le temps circule. Cette peinture-là nous relate la création, elle nous tutoie, elle
fait face aux équations du quotidien. Sans « philosophailler »,ou alors, juste ce qu’il faut pour nous
faire prendre conscience. Et nous voilà préts à y faire entrer tous nos désirs avec les yeux. Bussi
ouvre en nous des portes dont nous ignorions jusqu’à l’existence.
Comme il réinvente sa peinture, il nous incite à voir autrement.